samedi 20 septembre 2008

Parler mal et fort - Des nouvelles de mon accent II

«C'est la première fois que je lis (et relis) quelque chose d'aussi argumenté et qui fleure aussi mauvais la réalité sur ce que vit un Québécois en France.»

J’ai hésité longtemps avant de publier le dernier billet. J’avais peur qu’il ne s’en dégage un peu trop d’amertume et ce n’était pas un coup de poing que j’avais envie de livrer comme message. Je me disais : ouain, je vais peut-être avoir l’air pas gentille si j’écris ce que je pense... j’ai essayé de le faire avec le plus de tact possible. J’avais aussi l’intention de l’écrire en deux temps (sans savoir exactement ce que j’allais écrire au deuxième temps...), ce que je vais m’appliquer à faire dès maintenant, puisque la petite phrase en exergue m’a inspirée (et j’en remercie l’auteur). La réalité linguistique des Québécois en France, au Québec et ailleurs m’intéresse depuis longtemps. J’y suis donc extrêmement sensible et je remarque tout... sans toutefois entretenir de haine envers les Français et leur comportement face à la langue des Québécois. Je ne me sens pas persécutée et je ne pense pas qu’en maudissant les Français je me sentirai mieux dans ma langue. Les divers traumatismes linguistiques vécus pendant mon séjour en France n’ont pas fait de moi une personne aigrie (du moins, si je l’étais, je ne le suis plus) et je n’ai pas de raison de le devenir : je me marie avec un Français, hein, quand même! Et j’ai bien l’intention de vivre avec nos accents pour le meilleur et pour le pire.

Cela dit, une fois qu'on s'habitue à faire un peu plus attention en parlant, ça va. Ça n'a rien de tragique, c'est juste anormal de devoir prendre cette habitude alors que je parle français (un français métissé est-il pour autant incompréhensible?). Et c'est sournois aussi. Au-delà des imitations et des commentaires de mauvais goût, chaque fois que je parle, je me dis « bon, il ne faut pas que je parle mal» alors que c’est la seule langue que je connaisse et que je puisse utiliser pour exprimer mes sentiments, ma réalité... et pour communiquer avec les autres francophones. Les Québécois se disaient la même chose au début du XXe siècle à Montréal, mais à ce moment-là, c'était non seulement face aux Français, mais aussi face aux Anglais (un des moment dans l’histoire du Québec où le français a changé le plus). Et on m’a rappelé, dans les commentaires du premier billet sur le sujet, que c'était le cas même à l'Université, au département des littératures de langue française en 2008, et pas juste en France. On se dit la même affaire depuis longtemps : je parle mal, et dans toutes les langues. Alors, quelle langue pour les Québécois? Comment faut-il parler pour sortir enfin du cercle de l’accent vicieux?

«Je parle mal». Rien pour conforter mon ego, ni pour me rendre crédible aux yeux des autres : bafouiller, s’enfarger dans les mots, bégayer en parlant finalement un français sans couleur et qui n’existe pas, ça ne met personne à l’aise. J’ai dû trouver une solution «coup de tête» pour me sortir de l’enfer du langage qui commençait sérieusement à m’empoisonner l’existence (ce n’était pas une bonne idée de faire semblant que j’étais muette.) Comme je suis incapable de prendre l’accent français, j’ai décidé de faire le contraire. Advienne que pourra, j'allais «parler mal», mais surtout parler FORT! Cela impliquait qu’à chaque fois que j’ouvrirais la bouche les «Mais, vous êtes Canadieeeeeeeeennne!» allaient retentir de plus belle dans le ciel de l’Ile-de-France, que j’allais devoir expliquer à tout un chacun que je n’avais jamais vu de caribous de ma vie, ni jamais eu de mésaventures avec des ours (je sais pas pourquoi, les ours sont ben à la mode par les temps qui courent en France, plus que les caribous), que je ne connaissais pas Céline personnellement («...mais j’vais quand même lui passer l’bonjour de votre part!») et qu’on allait répéter après moi, ce qui n’est pas tout à fait ma définition du dialogue intelligent.

Le meilleur endroit pour parler mal et fort, c’est dans le RER ou dans le métro, parce que la plupart des gens sont seuls et n’ont rien d’autre à faire que d’écouter les autres. Certains d’entre eux me regardent et m’écoutent attentivement, les yeux sortis de leurs orbites et les narines dilatées, pour ne rien manquer de ma conversation avec Chéri, avec qui je ne fais aucun effort de diction (ils ont l’air parfois de se mordre les lèvres pour ne pas me demander si je suis bel et bien Canadienne, c’est quand même assez fascinant.) J’ai l’air bizarre, mais au moins, personne ne m’interrompt, tout le monde écoute, et à mon avis, ils doivent se rendre compte qu’ils comprennent plus le Québécois qu’ils ne le pensent. Je me dis qu’il se peut que la prochaine fois qu’ils écouteront une émission québécoise ou un artiste québécois à la télé française, ils feront peut-être un peu moins attention aux sous-titres, vu qu’ils ont compris une Québécoise live dans les transports en commun. Le deuxième meilleur endroit pour parler mal et fort, c’est dans les cafés. Quoi de mieux que d’afficher sa Québec-attitude au sein d’une gang de Français. Encore une fois, les têtes se retournent et les regards fusent... Et soudain «Mais, vous êtes Canadieeeennnne!» Vu que j’ai des amis Français qui ont survécu à l’accent québécois, étrange, on ne m’imite pas... ou bien vite fait, pour ne pas avoir l’air trop abruti.

Le but de cette entreprise? Me défolkloriser. Ça marche.

Je suis actuellement à la recherche du troisième meilleur endroit pour parler mal et fort et qui, j’espère, saura me guérir de ma surconscience linguistique. C’est peut-être ici qu’il se trouve, en fin de compte... le seul endroit où je peux écrire un peu comme je parle...

7 commentaires:

Mélanie a dit…

Ah! la sensation jet set. Les paparazzis! Quand parler suffit à attirer du public. Profites-en un max avant de retomber dans l'anonymat québécois. :)

(En partant, les filles des Taulières m'avaient dit, très heureuses, que nous côtoyer leur avaient maintenant permis d'écouter À la Di Stasio et surtout, de comprendre..)
Une humble contribution, mais coudonc! c'est pas rien.

xx

Sinon, en stress pré-mariage ou tout se place dans l'ordre?

Bonjour à Mr Morier et à sa charmante demoiselle :)

Rachel a dit…

Wow! je suis tellement contente que tu me dises que ça n'a pas fonctionné juste de mon côté!

Je suis en ultra stress pré-mariage... j'en donne des nouvelles bientôt...

Je t'embrasse et embrasse ton beau gosse de ma part ;)
xxxxx

Marie-Pascale a dit…

J'espère que tu ne perdras jamais ta surconscience, ce qui serait un scrilège...

Pourquoi, plutôt que d'affirmer "mal parler", ne parles-tu pas tout simplement? Pourquoi "mal"? Symptôme d'un complexe non-combattu?

Je termine avec la question qui tue : pis, ton mémoire, ça avance? :-p

xxxx

Rachel a dit…

ouais,sûrement un restant de complexe, en fait c'est dur de ne pas être complexée par son accent ici... C'est ce que je me dis dans ma tête, avant de parler «Fais attention à ce que tu dis et comment tu vas le dire». À force de se dire ça, c'est comme de se dire qu'on parle mal! Je n'avais jamais vraiment ressenti ce complexe linguistique avant. Et c'est vrai ce que Mélanie dit: on est comme un peu des stars ici quand on ouvre la bouche, mais on a pas que les bons côtés de la célébrité!
Mon mémoire avance parfois ;) J'ai la moitié d'écrit, mais tout est encore au stade brouillon... Je ne lâche pas! Toi non plus j'espère...

Anonyme a dit…

Mais Rachel, je t'aime et tu le sais, mais ici, je ne suis pas du tout d'accord avec toi. Je ne crois pas que parler mal soit le moyen du siècle pour affirmer haut et fort ses racines. Notre langue est si belle que ce serait dommage que les Québécois se contentent de "parler mal" pour affirmer leur identité à l'étranger.Il y a une marge, je pense, entre vouloir conserver son accent et parler "fort et mal". ;-)
P.S. : C'est Marilou, je me suis mise anonyme parce que j'ai oublié mon mot de passe dans ton site !

Rachel a dit…

...mmm... deux commentaires sur le fameux «parler mal»...
je pense que je me suis mal fait comprendre et je vais tenter d'éclaircir ma pensée.

Je ne pense pas réellement que je parle mal,et mon blog ne serait certainement pas le meilleur endroit pour dire aux Québécois qui me lisent qu'ils parlent tous aussi mal que moi!!! C'est dans le fait de faire attention aux mots que j'emploie et comment je les dis quand je parle à des Français que souvent, dans ma tête, c'est comme si je me disais «il ne faut pas que je parle mal, parce qu'il ne vont rien comprendre». J'aurais tout aussi bien pu me dire, toujours dans ma tête, «il faut que je parle bien», mais ça reviendrait au même, autrement dit, s'il faut se forcer pour parler bien, c'est que normalement, on doit parler mal... Je sais évidemment que je ne parle pas mal! Je ne me sentirais pas plus à l'aise en faisant exprès de massacrer le français et ça donnerait une très mauvaise image des Québécois effectivement...
En fait, quand je dis que je parle mal et fort, c'est plus une image, un peu ironique, pour dire que je parle avec ma langue, naturellement, au lieu de faire toutes sortes de simagrées linguistiques pour parler un français international froid et qui me met mal à l'aise... et j'hausse un peu plus la voix que d'habitude: ça me donne confiance en moi, en ma langue et je pense qu'en même temps, ça défolklorise le Québécois moyen en France. Je ne cache plus mon accent, que je parle très bien cela dit!

Anonyme a dit…

Je comprends très bien ce que tu vis et ce que tu exprimes! Je fais la même chose, sans l'avoir vraiment pensé comme toi!!!! Au début, j'étais super naturelle, et on ne me comprenait pas... Puis, un peu complexée par les différentes allusions qu'on me faisait et les commentaires pas toujours agréables, j'ai fait de grands efforts pour diminuer cet accent, ou tout au moins amenuiser ma différence. J'ai alors perdu beaucoup de ma personnalité, de moi-même! Un jour, j'en ai eu marre!!! Et j'ai arrêté de faire des efforts!! Je parle comme au Québec, je répète de bonne grâce quand on me le demande, mais même si je n'ai pas perdu mon accent, après 6 ans on me comprend même si je ne fais plus d'efforts! J'ai pris des expressions françaises par l'habitude, mais je suis redevenue moi-même, et souvent je m'amuse parler fort... mais Rachel... je ne sais pas pour toi, mais moi, au Québec, je parlais fort! Ma famille parle fort!!! On parle tous fort!!! Alors ici, ben, je parle fort!!!

Il n'y a pas longtemps, j'ai été manger au restaurant avec une québécoise vivant à un peu plus d'une heure de chez moi, et on était au restau, on se voyait pour la première fois de notre vie, et on rigolait, et parfois assez fort... et elle m'a fait remarquer:"R'garde, Danielle, on est les seules à rire!!!" Et c'était vrai!!! Personne d'autre ne riait, ne faisait un peu de bruit!!! Tout était discret!! Ben, ça donnait encore plus le goût de se lâcher!!!!

On est québécois ou bedonc on l'est pas!!!