jeudi 27 mars 2008

«Sur les routes de France De Bretagne en Provence Et je dirai aux gens: Refusez d'obéir ...»

Ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu l’hymne national du Canada. Ordinairement, cette chanson ne me fait penser qu’à la frénésie du hockey (d’ailleurs je vais manquer les séries... ça fait exprès! Cette année je manque l’hiver, pis les séries en plus!) Ce matin, j’ai ouvert la radio (vive internet) plus tôt (d’habitude j’ouvre seulement vers midi, là j’ai eu un coup de nostalgie à 10h). J’ai découvert que la première chaîne de Radio-Canada diffusait toujours notre hymne national à l’ouverture de sa programmation, ce qui m’a rappelé les samedis matins de mon enfance, alors que je ne buvais pas encore de café et que je me levais top shape, sans soucis et l’esprit léger chaque matin, en pyjama dans le sofa à 5h (et ce n’était pas parce que j’avais veillé tard que j’étais là...) où j'attendais, hypnotisée par les bandes de couleur, que la programmation de la journée commence. Tout ce qui importait à ce moment-là, c’était de regarder les ptits bonhommes : le clou de la journée quoi. Quand plus tard ma mère se levait, elle nous disait, à ma soeur et à moi, de se dégrouiller parce qu’on allait faire le marché.

J’ai toujours adoré faire l’épicerie, mais depuis que je suis ici, je dois l’avoir fait seulement trois fois (là je parle des vraies bonnes épiceries, où t’achètes pour la semaine et que tu te demandes en arrivant à la maison comment tu vas faire pour tout faire rentrer dans ton fridg, et que tu décides finalement de faire à manger tout le restant de l’après-midi, que vers trois heures, trois heures et quart, t’appelle tes amis pour les inviter à bouffer le soir même: la sensation d’abondance tsé...). Ce soir, quand chéri sera rentré du travail, nous irons faire notre première vraie épicerie en amoureux, puisque maintenant, nous avons nos propres armoires à remplir de victuailles, que je sais conduire une voiture avec une boîte de vitesse (je croyais jamais que ça m’arriverait) et que je peux donc nous transporter jusqu’à la vraie épicerie (qui s’appelle, soit dit en passant, le Champion... y’a de quoi feeler winner!). C’est incroyable, je suis capable de synchroniser mes pieds et mes mains. Je ne suis pas encore pilote de course, mais ça ne saurait tarder. Conduire ici, c’est comme jouer à Mille Bornes : super frustrant. Des fois t’avances, des fois tu restes stocké là pendant mille ans. La limite de vitesse est différente selon qu’il pleuve ou qu’il fasse beau. Il y a tellement de panneaux de signalisation qu’on ne peut pas tous les remarquer (genre tu fais ton angle mort, tu manques un panneau, t’es fourré...) Oubliez les stops, (entoucas dans mon coin il n’y en a presque pas) : c’est la règle de la priorité à droite (mais attention, ce n’est pas parce qu’on a la priorité que la voiture qui arrive de la gauche ne nous rentreras pas dedans... donc il faut toujours ralentir à chaque intersection, mais attention à ne pas s’arrêter, sinon la voiture de derrière klaxonne et nous double juste au moment où on décide de s’engager, c’est génial...) Il y a quelques rares sens uniques, mais de toute façon, la voie, même à deux sens, n’est toujours assez large que pour une voiture... Finalement, le code de la route est assez relatif ici, il se crée à l’instinct, en conduisant. Les mobilettes et motocyclettes passent entre les voitures sur l’autoroute, les cyclistes prennent toute la voie sur les chemins de campagnes (essayez pour voir de dépasser un groupe de cyclistes qui se pensent au Tour de France...), et dans les villages, les piétons se foutent pas mal de mourir écrapoutis (surtout les vieilles). Dans les carrefours giratoires, la règle du céder le passage est supposée s’appliquer, mais en fait, c’est toujours celui qui a la voiture la plus pourrie qui a priorité (c’est un signe de témérité routière...), les autres ont peur de se faire maganer la leur. Il faut être attentif aussi aux plaques d’immatriculation. Ceux dont les numéros finissent par 75 (résidents de Paris) et 94 (résidents du Val de Marne (sud-est de Paris)) ont toujours la priorité puisqu’ils sont fous. Aller faire l’épicerie en voiture en Ile-de France est une course contre la mort... il faut manger pour vivre et éviter de mourir pour pouvoir manger. Puisque j'ai toujours faim, que je n'ai pas l'intention de mourir, que j'ai toujours aimé me déguiser en cowboy, que la Renault Laguna est déjà rayée sur l'aile gauche, et qu'en France on fait comme les Français... je vais tenter d'appliquer à la lettre le code de la route des cousins Latins. Qui conduira, mangera...

lundi 10 mars 2008

Le grand galop du cheval-vapeur

Enfin un événement hors du commun s’est produit dimanche en fin d’après-midi. Alors que nous étions chez Nono et Monchat (les parents de chéri), où nous avions fait bombance et ripaille toute la journée (c’est la coutume ici dans les Vieux Pays) et que nous étions pompettes et ravis par la victoire du XV de France sur celui de l’Italie, chéri et moi sommes sortis pour fumer une bonne Lucky Strike filtre (il n’y en a qu’en Europe) sur le perron de la maisonnette aux volets blancs de St-Rémy-lès-Chevreuse. Le jour tirait presque à sa fin lorsque nous vîmes poindre entre les haies, où scintillaient comme des joyaux les gouttelettes de pluie printanière, le pare-choc d’une Renault Laguna vert émeraude reconduite par nulle autre que notre fée marraine bien-aimée qui venait en ce jour béni nous céder son magnifique engin. Ce n’était pas seulement qu’un simple moyen de transport qui s’était approché dans la rue. J’avais devant les yeux toute l’histoire de l’automobile, de la vapeur au moteur à explosion jusqu’au Taylorisme, puis j’ai eu une pensée pour les voitures qui ont marqué ma vie. Je me souvenais de la Rabbitt vert gazon d’un de mes ex. Immortelle Volkswagen, la carrosserie avait flanché avant le moteur. J’ai repensé bien sûr à ma Buick Régal 1991, intérieur beige-brun-sale, assez grande pour huit passagers, qui sentait le cendrier et que je pouvais parker dans les pires bancs de neige de la rue Marianne. J’avais en tête les allers-retours à Québec, les jours de l’an à l’Isle-aux-Coudres, et mes grosses lunettes fumées à la Joplin que je portais exprès pour faire rétro au volant de mon char-de-vieux. Je me suis aussi souvenue de mon Ford campeur, de la fois qu’il m’avait lâché sous un soleil de plomb, rue Papineau, dans le trafic du vendredi, de la guêpe géante qui était rentrée par la fenêtre dans une station service sur la route de Tadoussac. J’avais vraiment capoté... Ce qui se trouvait alors devant moi c’était toute mon histoire mobile et la promesse de nouveaux jours heureux.

La fée marraine est sortie de la voiture sans dire Bibbidi bobbidi boo et nous a tout de suite annoncé que le frère de chéri avait eu un accident ce matin, qu’il était correct, mais que son char ’tait scrap (... elle l’a pas dit comme ça, mais c’est ce que ça voulait dire). Conseil de famille : il y a une petite brise froide qui tend un peu l’atmosphère. Tout le monde se regarde du coin de l’oeil et n’ose pas prononcer la sentence fatidique... nous prêterons la voiture au frère de chéri (dans cette parenthèse, on m’entend pleurer à chaudes larmes...) jusqu’à ce qu’il puisse s’en procurer une autre. Horreur et damnation, était-ce un acte manqué de la part du beau-frère? Secret de famille... Bref, chéri et moi sommes rentrés à la maison, assis à l’arrière de la Renault 19 familiale, comme deux petits enfants, avec un saucisson de Lyons et des macarons comme prix de consolation. Alors que je cherchais à m’étonner devant un lapin, un renard ou un sanglier qui se serait trouvé aux abords de la route nous menant jusqu’à Bonnelles, une sonnerie de portable inédite (elles le sont toutes en France) se fit entendre dans la voiture. C’était la fée marraine qui nous informait que la clotche de la Renault Laguna avait lâché (...elle l’a pas dit comme ça...). J’ai eu alors un fou rire nerveux, ce qui m’a valu un coup de coude de la part de chéri qui n’entendait pas à rire. J’avais juste envie de dire «c’est le boutte d’la marde !!!!», mais puisque personne n’aurait compris, j’ai plutôt secoué la tête en regrettant, encore une fois, le temps où on l’on allait à cheval.

jeudi 6 mars 2008

Un Grand Dérangement

Le village où j’habite est assez étrange. Premièrement, il semble que tous ses habitants viennent de Normandie et ont un ancêtre Acadien qui s’est fait déporté. (Je ne sais toujours pas pourquoi ils me racontent tout ça, je ne suis pourtant pas Acadienne et je n’ai aucun ancêtre Acadien...) Les villageois qui n’ont pas d’ancêtres Acadiens, ont de la famille exilée à Montréal : «entre nous, c’est bien mieux le Canada !»(Ouais... Entre nous, ferme ta gueule de conne, moi j’ai le mal du pays une journée sur trois, fak c’est sûr que même la Saskatchewan c’est cent fois mieux qu’icitte.) Dans mon village, il y a aussi les tenants du retour aux sources : «c’est bien pour toi de rentrer au pays, de revenir aux sources...» (eille man, je suis pas rancunière là, sauf que ton pays nous a flushé y’a 300 ans, pis après ça on s’est fendu en quatre pour survivre... Les sources, les sources ! Comme si j’avais pas de pays!). Il y a d’autres personnes qui démontrent un peu plus de bonhommie : «ton français s’améliore chaque fois qu’on se voit!»«Merci, mes cabrioles linguistiques te sont entièrement dédiées mon ami!» Quand les Français me parlent du Canada je suis souvent frustrée, mais en même temps je les trouve cutes, parce qu’ils sont complètement ignorants (je suis fendante, c’est pas possible, c’est peut-être la preuve que je m’adapte (hihihi)...). Je fais mon mémoire sur l’adaptation québécoise des pièces de théâtre étrangères. J’ai la tête dans la sociolinguistique québécoise à chaque jour de ma vie. Quand je sors ma tête de cette histoire-là, je suis en France, avec les Français et leur langue de Français, celle contre qui les traducteurs de théâtre québécois se sont soulevés un bon moment donné pour dire «Woh, on a une langue et une culture nous autres itou! D’la marde les traductions françaises», constat que les Français n’ont jamais fait pour la simple et bonne raison qu’ils ne sont pas Québécois. Je connais mal l’histoire des Français, mais à mon avis, leur langue et leur identité ont rarement été mises en jeu. (J’ai entendu que le poids de leur histoire est lourd à porter, mais je ne suis pas sûre d’avoir compris ce que ça voulait dire.)

Donc, la question que je me pose est la suivante : comment puis-je vivre ma québécité en France? J’essaie d’être ouverte, souple, calme, sereine, je médite câlisse. Envoyez-moi en Bolivie, je suis sûre que je vais m’adapter, mais ici je pose une résistance de l’ordre d’une souche, une ben grosse souche, pis comme dirait l’autre «pour enlever une souche faut mettre la chainsaw d’dans, pis c’est pas toujours beau...» J’ai l’impression que le problème des Québécois quand ils sont en France pour longtemps (j’ai déjà vérifié, ce n’est pas que mon problème...), c’est qu’ils ont une difficulté monstre à s’ouvrir, dans le sens d'accepter la différence. Inconsciemment, on a la chienne : notre histoire collective nous dit qu’on a travaillé fort pour être vivants aujourd’hui, pour encore parler le français, qu'on s'est prononcé assez radicalement contre la sacro-sainte «Norme Française» pour pouvoir se sentir exister. J'ai l'impression qu'ici je dois remettre tout ça sur la table, encore et encore. Notre pays et notre langue sont sacrés, intouchables, surtout quand on est en France, et que personne ne s’avise d’en parler, ni en bien, ni en mal... Quand je disais que les Français sont cutes parce qu’ils sont ignorants, leur problème en fait c’est qu’ils aiment vraiment les Québécois, ils sont charmés par notre accent et par nos différences, ceux qui ont voyagé au Québec en gardent de beaux souvenirs, sauf qu’ils ne pourront jamais comprendre l’importance que ça peut prendre pour nous de se faire entretenir sur notre langue et nos racines... On est pas Français. (Hier, j’appelle à Montréal chez des amis et je tombe sur Claude-Yves, le père de Karine, qui a un accent charlevoisien gros comme le bras (le sien...). Là, je commence à y parler, pis je m’écoute en même temps... J’étais en train de choisir mes mots, comme si y’allait pas me comprendre !!! Ça, ça fait peur.)

Comment vivre ma québécité... comme dit souvent ma fée marraine, y’a des gens qui sont pas mal plus mal en point que nous, alors maintenant, quand j’ai une crise d’identité, je pense aux Acadiens.