vendredi 2 juillet 2010

Lettre à mon banquier

Ça aura été la même histoire du début à la fin! Bref, voici la lettre que j'ai finalement envoyée à mon banquier qui me harcèle sans relâche depuis l'automne dernier.


Monsieur X,

Je tiens à vous informer qu'il s'agit du troisième courrier me demandant de prouver mon identité, et l'envoi que vous tenez entre les mains constitue une troisième réponse à celui-ci.

Cette fois-ci, vous indiquez que mon dossier est incomplet sans toutefois m'informer de la pièce manquante exacte.

Alors, comme pour les deux dernières fois où j'ai répondu à ce courrier, je vous enverrai exactement les mêmes pièces d'identité et preuves de résidence, car, en plus de penser que ce sont bel et bien celles que vous souhaitez vérifier (elles figurent dans la liste au verso de la lettre qui les réclame), je n'en possède tout simplement pas d'autre.

Si vous ne l'avez pas encore remarqué lors des deux envois précédents, je suis Canadienne et, comme les étrangers en ce pays, je ne possède pas de pièces d'identité française autres que mon passeport, mon visa et ma carte de séjour – celle de l'OFII -, collée dans mon passeport. Mon adresse figure sur cette carte, c'est ma seule preuve de résidence. Pour votre information, ces pièces d'identité sont assez difficiles à obtenir et coûtent un certain prix. J'ai dû passer par plusieurs administrations qui ont ausculté mon identité et ma généalogie à un point tel que j'ai bien cru qu'on allait m'ouvrir le thorax une bonne fois pour toutes afin de s'assurer que je n'étais pas un automate en situation irrégulière.

Si ces pièces ne vous satisfont pas, eh bien, je ne peux plus rien pour vous.

Ah si, je peux peut-être vous inviter à me rencontrer. J'habite au xx, rue de la xxxxx, à Bonnelles, mais vous le savez déjà. N'empêche, c'est un endroit charmant, vous verrez. Aujourd'hui, il fait chaud, mais nous y sommes au frais, avec mon mari, nous jardinons un peu. Je pourrai vous raconter ma vie, à l'ombre, devant une bonne tasse de café, et vous vous réjouirez en entendant chanter mon accent québécois. Je vous jure, vous vous croirez en vacances.

Je vous souhaite une journée remplie de vérifications satisfaisantes, pas comme la mienne qui vous donnera, pour la troisième fois, du fil à retordre et un mal de tête.

jeudi 25 février 2010

Mottons

Je me suis levée à 6 heures du matin, j'ai sauté dans la douche, je me suis lavée et j'en suis sortie pour aller m'habiller. J'ai séché mes cheveux. J'ai mis un peu de mascara. Au chant du coq, je suis sortie dans la noirceur tiède de Bonnelles avec l'envie d'aller me recoucher. Pouvez-vous allumer la lumière s'il vous plaît? Décidément, je ne m'habituerai jamais.

Je démarre un moteur fatigué, allume les hautes, prends des chemins humides, brouillés et sinueux à travers la campagne jusqu'à la clarté de Bures-sur-Yvette. Les oiseaux se réveillent et s'accordent avec le ronronnement du train qui arrive lentement. Matin, on se berce en silence. Vers 7 heures, quelqu'un trouve le moyen de faire sonner son téléphone. Disco espagnol à fond. Même si tu mets ta main devant ta bouche pour parler discrètement, je t'entends pareil : tu es assise en face de moi. Je suis réveillée et j'indique à un homme à l'air perdu qu'il a laissé tomber son écharpe. Premier sourire de la journée. Perdre son écharpe peut parfois tout gâcher, il faut être attentif à ce genre de détails...

«Laplace - Maison des examens », je sors dans la bruine pour aller attendre l'autobus en motton, ce qui constitue sans doute la raison pour laquelle je prends l'autobus en ville pour la première fois. Je ne sais pas comment valider mon ticket. Le chauffeur est passif, je cherche une autre machine, et fais soupirer les gens derrière moi. Dépêche-toi. Je m'échappe pour un moment dans un tramway d'Amsterdam. Ici aussi les noms des arrêts défilent sur un petit écran, tandis qu'une voix féminine robotisée – la même que celle du train – les prononce. Châtillon-Montrouge Métro. Dépêche-toi, sors, laisse passer les gens avant de regarder la carte du quartier, trompe-toi de chemin, reviens voir la carte, laisse passer les gens, commence à pleuvoir à boire debout, dépêche-toi. Arrive à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et attend sous la pluie en motton avec quinze autres aspirants à la carte de séjour, convoqués à la même heure, le même jour que toi. 8 heures, les portes s'ouvrent. « Allez messieurs, dames, on se dépêche. » Je suis une tête dans un troupeau de moutons stressés de passer au marquage. Sort ton passeport, une jeune femme à l'air blasé étampe violemment ma feuille de convocation. 24 février. C'est aujourd'hui l'anniversaire de Karine et Sarah, mais monte plutôt au 1er étage à gauche, voir la seconde secrétaire. Nom, prénom, numéro de téléphone, allez hop dans la salle avec les autres. Assis toi alentour des tables, c'est plus sympa. Ferme ton portable. J'en ai pas.

On gèle ici et ça fait déjà presque une demi-heure qu'on y est. J'entends piailler un accent français très aigu à l'extérieur qui explique à d'autres voix qu'il faut communiquer et travailler en équipe, que ça va fonctionner. Il n'y a pas de café sur la table à goûter, seulement deux vieux biscuits que personne n'ose toucher et du jus de pomme chaud. Je prends un journal qui traîne. Trois Cambodgiens parlent et personne ne comprend ce qu'ils disent. Tout à coup, un vieil Africain très noir se présente et s'exclame. Ils sont tout seuls?!? Personne n'est venu mettre la vidéo? Ben où elle est Zara? C'est Zara qui devait le faire. Non, Zara ne travaille pas le jeudi matin... Oui, mais on est mercredi! Aaaah... L'Africain est assistant social et se propose de nous introduire à la démocratie française, nous décrit une société pas si complexe, et qui apparemment fonctionne, même si je viens de lire exactement le contraire dans le journal. Je doute de la réalité pendant un bref moment jusqu'à ne plus savoir si je me suis réveillée dans la bonne dimension. Je retiens de sa présentation qu'il faut garder précieusement et pour toute la vie le certificat médical qu'on nous délivrera tout à l'heure, sous peine de vivre l'horreur comme cette vieille dame brésilienne, ou encore cet avocat anglais. Il termine en disant que parfois la vie est compliquée, mais qu'elle peut être moins compliquée. Cool. Notre berger s'en va, et nous sommes seuls à nouveau avec la langue cambodgienne, jusqu'à ce que l'accent français aigu appelle Chandina, Logan, Gamache et Rhhhhamed. Descends au rez-de-chaussée à droite.

Première salle, on me pèse et on me mesure, mais seulement une des Cambodgiennes fait le test d'urine. Deuxième salle, le médecin me demande c'est quoi mon vrai nom, Gamache? Morier? Gamache Morier? et choisit finalement de m'appeler Céline. Cache un oeil Céline, c'est quoi ça... E, ça... 7, l'autre oeil Céline, ça... 1. Troisième salle, déshabille-toi, mets une chemise bleue et colle ta poitrine chaude sur une plaque de métal froide, inspire, INSPIRE! Ne bouge plus. Quatrième salle, vous fumez? Oui, je viens de recommencer. Très mauvais. Vous faites du sport? Non, je fais du yoga. Mrphm... Ouvre la bouche, déshabille-toi, inspire, expire, EXPIRE. Retourne voir la secrétaire blasée et revisite la violence de son tampon. Je range amoureusement mon certificat médical avec les autres papiers dans mon enveloppe démocratique. J'ai hâte de revenir à la maison pour regarder pendant une heure la radio de mes poumons. Remonte plutôt au 1er étage à gauche. Essaie de lire les Fictions de Borges, mais c'est comme un peu too much pour l'occasion. Écoute les Cambodgiens qui sont de retour, mais moins enjoués. Baltimore croque dans un gros raisin en sapant bien fort. N'oublie pas d'appeler Karine et Sarah en rentrant. Il manque un biscuit et Alger se sert un verre de jus de pomme chaud. Céline se rappelle qu'elle a mis une poire dans son sac avant de partir. Regarde la photo de Sarko posée sur les murs de la démocratie. Deuxième sourire de la journée.

J'appelle Madame Gamache épouse Morier. C'est moi ça, version détaillée.

L'assistante sociale ressemble comme deux gouttes d'eau à une amie tunisienne que j'avais au secondaire et j'ai du mal à me concentrer. Elle accepte une photo de moi qui ne me ressemble pas trop. Elle a de la peau sèche sous le nez. J'ai rendez-vous le 11 mars à Montreux pour une journée de formation sur la vie civique obligatoire. Je signe le contrat d'accueil en deux exemplaires, dont un va rejoindre aussitôt mon certificat médical et mes poumons. Elle colle dans mon passeport une étiquette jaune avec un hologramme du sigle de l'OFII représentant une dizaine de personnes de toutes les couleurs en motton. C'est ma carte de séjour, mais au moment où elle vient pour apposer le tampon quelqu'un frappe à la porte, entre et s'excuse. Merde, elle a posé le tampon à l'envers. Merde, elle a collé la carte de séjour à côté de mon autre visa expiré et ça-sera-pas-pratique-pour-les-gendarmes-quand-ils feront-des-contrôles-oh-la-la... Je dois aller faire renouveler ma carte de séjour trois mois avant qu'elle n'expire, c'est-à-dire que dans trois mois déjà, je serai de retour au point de départ, exactement un an jour pour jour après avoir demandé pour la première fois une carte de séjour. Pas pratique pour Céline non plus...

Je sors du bureau, et je ne sais pas trop où aller puisqu'on ne me dit plus rien. C'est peut-être terminé, j'ai peur de demander. J'articule un Aurevoir aux assistants sociaux attroupés autour de l'accent français aigu. Motton de sourires démocratiques. Je suis arrivée, enfin.

mercredi 7 octobre 2009

Chaud les marrons!

Il y a un châtaignier au fond de la cour qui a laissé tomber ses fruits ces derniers jours.
J'ai décidé d'en faire de la crème de châtaignes ou crème de marrons. Menoum. La recette que je déniche sur la Toile est « facile », moi qui pensais que ça prenait trop de savoir faire pour réaliser ce délice… Non : des marrons, du sucre, de l'eau, de la vanille au goût et le tour est joué.
La veille, je vais donc cueillir le marron au fond de la cour détrempée. Je commence par scraper mon chandail sur un arbuste piquant au nom inconnu. C'est mon chandail-de-fermière, pas grave… Je me laisse bercer par le doux « scrounch » qui résulte de cette rencontre impromptue. La châtaigne est un petit fruit agréable à regarder. De couleur brune, elle offre de jolis reflets roux, qui contrastent avec le tapis noir de feuilles pourries et le vert-jaune de sa cosse épineuse, posée à ses côtés. Il faut que les doigts puissent se frayer un chemin dans toute cette nature avant d'y avoir accès. Ce que je fais, en lâchant quelques petits « Aouch », qui se confondent joyeusement avec la plainte de mes consœurs les poules, frustrées d'avoir été virées de leur repaire.


Je récolte 1 kilo et demi de châtaignes gratis et n'en suis pas peu fière. Je prends une photo de ma récolte (comme vous pouvez le voir, je n'ai pas récolté que des châtaignes), l'une des dernières de l'année.

J'attaque mon kilo et demi vers 11 h 15, après une bonne nuit de sommeil. Il faut d'abord entailler le fruit sur le dessus, puis avoir une crampe dans la main qui tient le couteau. On doit ensuite plonger la châtaigne dans l'eau fraîche et faire bouillir pour que la deuxième cosse se fende. Oui, la deuxième cosse. Celui ou celle qui a eu l'idée de cuisiner les marrons pour la première fois avait sans doute une désespérante faim de loup… (Après vérification, les marrons et châtaignes ont effectivement sauvé les plus pauvres des Français lors de grandes famines.) Moi, j'ai mangé un sandwich au poulet en attendant.

Ma maison se remplit tout à coup d'effluves boisés, comme si j'avais fait bouillir des feuilles mortes dans l'eau de pluie. « Écossons le marron! » ai-je dit aux oiseaux qui étaient venus se poser sur mon épaule et aux écureuils curieux qui regardaient par la fenêtre. Ce n'est pas vrai. Il n'y avait pas d'oiseaux. De toute façon, ils n'auraient été d'aucune utilité. En revanche, j'aurais bien eu besoin d'un ou deux écureuils. La recette dit « Ne retirez que deux ou trois marrons de l'eau à la fois ». Gne, pour quoi faire? J'en retire dix au moins. C'est chaud quand même… J'écosse le premier, le deuxième et le troisième, sans l'aide de l'écureuil. Le quatrième marron ne se laisse pas faire. Il a tiédi et je comprends tout à coup le pourquoi de la phrase qui m'avait laissée perplexe. Je remets les marrons dans leur bain, en n'en retirant qu'un ou deux à la fois. Il est midi trente.

À 13 h, je souffre. Les ongles de mes pouces sont pleins de bouts de marrons et me font trop mal pour que je puisse les retirer. J'essaie une autre technique, peu fructueuse, avec les index… Il me reste la moitié de ma récolte à écosser. Je commence à délirer et me rends compte combien les pouces sont utiles, dans la vie en général. Que ferions-nous, dé-poucés? Rien de bon sans doute, car la crème de marrons, c'est bon, enfin, si je ne la rate pas. En regardant par la fenêtre les murs de la vieille ferme familiale que j'habite, je m'imagine être la mère d'une famille nombreuse (pour ce moment seulement, n'est-ce pas…) qui aurait eue, non pas l'aide des écureuils, mais celle de ses enfants pour éplucher les marrons chauds. Plein de phrases style dictons me viennent en tête, genre « c'est bon quand c'est long »… Je repense à mon été passé à Montréal. Je m'ennuyais tant de mon jardin Bonnellois aux mille saveurs et rêvais de faire des conserves, insatisfaite, les yeux rivés sur l'œuvre de mon esprit… Est-ce que je perds mon temps, là, comme une dinde, à écosser des châtaignes que j'aurais pu acheter en bocaux au Shopi?

Mon ami Pascal Gingras, notre patriarche, me disait, cet été, sur son balcon, entre deux tounes des Beatles grattées sur sa douze cordes, que le monde allait souvent trop vite pour lui. Il regardait, au-delà des cordes à linge et des blocs appartements d'Hochelaga, et agitait ses mains de chaque côté de sa tête, mimant la vie qui passait à grande vitesse au ras ses oreilles : « Toutte toutte toutte va trop vite, 'sti, y'a personne, personne, qui prend le temps. Je peux pas vivre comme ça moi ». Je ne sais pas si c'était la voix de la sagesse, mais je me suis rappelé ce moment, en déchaussant les châtaignes, confrontée à cette tâche qui exigeait temps, lenteur et patience. Heureusement, quand j'ai commencé à halluciner Pascal avec une tête de châtaigne, j'avais terminé. Un petit coup d'œil à l'horloge : il était 14 h 17.

Les doigts gercés et meurtris, j'ai finalement fait cuire les châtaignes, tout en préparant le sirop au « petit boulé », qui consiste en la cuisson de l'eau et du sucre jusqu'à ce qu'on puisse en faire une petite boule entre les doigts. Cette fois-ci, je ne me suis pas trop posé de questions quand j'ai lu « tremper vos doigts dans l'eau fraîche AVANT… ». Évidemment, je me suis quand même brûlée en vérifiant que la fraîcheur de l'eau n'était pas suffisante pour éponger le feu des 115 degrés Celsius du petit boulé. Téméraire, je me suis attelée au moulin à légumes pour réduire les marrons cuits en poudre. J'ai constaté que, dans de rares cas, comme celui-ci, il était possible de subir une importante mutation : le labeur et la douleur avaient fait de moi une parfaite gauchère. Je jouissais de cette découverte en versant le petit boulé sur la purée odorante. La crème de marrons, MA crème de marrons était née.

À 16 h 15, je suis en convalescence. Je m'éffouère dans le couch avec mes mains en feu, Ce cher Dexter et un Mont-Blanc. Il reste autant, sinon plus, de marrons qu'hier, là-bas, au fond du jardin, gisant sur un lit de pourriture, parmi les poules, les ronces et l'automne capiteux, comme une ancestrale définition du temps et du travail qui, ma foi, goûte franchement bon.