jeudi 18 septembre 2008

Des nouvelles de mon accent

«Alors Rachel, toujours pas perdu ton accent?» me lance un de mes amis Français, tout frais revenu du Québec. «Naon, toujouwh pâs!».

Il faut dire que je ne venais pas ici dans l’idée de perdre mon accent. J’ai bien pris quelques intonations «à la française» (ce qui amuse follement certains Québécois qui, comme les Français, se mettent à répéter après moi... Alleluia). Chéri a lui aussi adopté quelques expressions québécoises, rien de plus normal. C’est dur, perdre un accent, quand on sait qu’on pense avec cet accent (dans ma tête, je parle québécois, je lis en québécois, je rêve en québécois... pas en gros joual là, juste en québécois normal). Alors, pour ceux que ça inquiète, rassurez-vous, mon accent ne s’est pas perdu, et croyez-moi, il est bien présent, surtout quand je suis soûle (c’est comme l’anglais, ça vient tout seul avec un verre dans l’nez!). Sans avoir nécessairement «préserver» mon accent de l’envahisseur Français, disons qu’il n’est juste pas parti comme ça, tout seul. Les Français qui m’entourent se sont habitués à mon accent et moi je me suis habituée au leur (le jargon français est pas mieux que le Québécois, en passant, je comprenais rien au début et je ne pouvais pas rester concentrée sur ce qu’ils racontaient). Je reconnais aussi la face qu’ils font quand ils ne comprennent rien de ce que je dis, alors je répète avec d’autres mots (les Québécois, éternels traducteurs). Depuis que j’ai signifié que ça faisait 8 mois que j’habitais ici et que j’étais écoeurée de me faire imiter à tout bout de champs, y’en a plus de problème. Youpidoo!

Non, pas tout à fait. Préserver, ne pas perdre, garder fièrement son accent québécois (oui, il faut préciser : je ne pense pas que le problème soit le même pour un Marseillais voyez-vous...) signifie ne jamais se faire comprendre dans la vie courante. Par exemple, l’autre jour, j’étais pognée en char en plein milieu d’un carrefour lorsque le feu a passé au vert pour les automobilistes qui venaient dans l’autre sens. En France, quand ce genre d’incident arrive, les gens te foncent dedans (au lieu d’attendre 2 secondes que tu puisses avancer) et t’envoient chier, il faut vivre avec. Un motocycliste me fait signe de ne pas avancer (donc de rester en plein milieu du chemin, ce qui est absurde) et je lui lance par ma fenêtre ouverte un «Ben oussé veux-tu que j’aille câlisse!» qui n’a pas eu tout à fait l’effet escompté, parce que personne n'a compris ce que je venais de dire : dans ce genre de situation, je parlerai toujours une langue étrangère. La spontanéité, on oublie ça: je ne suis pas capable d’envoyer promener quelqu’un en français de France, même si j’adopte toute les intonations.

Pour faire la conversation aux gens que je ne connais pas avec mon accent, il faut accepter (je l’ai fait) de rester toujours une étrangère dans un pays qui ne semble pas vouloir devenir le mien («Vous êtes Canadienne!» C’est immanquable, mais c’est pas grave... les gens sont la plupart du temps ravis de pouvoir parler avec une Canadienne) et faire attention aux mots que j'utilise. Les gens que je ne connais pas, mais à qui je parle plus souvent, ma propriétaire ou le tabagiste, me font la remarque (désobligeante) suivante : «Votre français semble s’améliorer...» Mon français n’était pas plus ou moins moche avant, il était différent, et maintenant, il ressemble un peu plus au vôtre. J’ai souvent envie de dire qu’il y a des milliers de personnes de l’autre côté de l’Atlantique qui parlent comme moi. Entendez vous! CE N’EST PAS LE FRANÇAIS DU XVIIIe SIÈCLE! C’est le français Québécois du XXIe siècle!

Il y a aussi tous les petits malaises inclassables. Que pensez-vous de celui-ci, c’est dans le dernier Elle cuisine : «Sur le site http://www.cookshow.com/, pros et amateurs du monde entier se côtoient sans complexe, pour nous livrer recettes et astuces en vidéo. L’occasion d’apprendre à réaliser du sirop d’érable au gingembre, guidé par un chef québécois, en V.O.» Abasourdie de trouver dans la même phrase les mots «sirop d’érable», «québécois» et «V.O», je me suis posée deux-trois questions. Pourquoi étais-ce nécessaire d’écrire «en V.O.»?!? Chef québécois aurait suffit... Il faut savoir que tout ce qui sonne québécois ici est sous-titré ou doublé en Français de France (sauf la pub pour le nouveau sandwich Canadian Wild de Mc Donald... sans commentaire). J’ai fait le saut l’autre jour, je regardais la télé et j’ai vu un comédien québécois dans une pub de char, doublé avec l’accent français. Donc, en écrivant V.O., est-ce qu’on averti le lecteur que cette recette sera nécessairement plus compliquée étant donné l’accent québécois? Peut-être. N’est-ce pas paradoxal qu’on signifie dans la phrase précédente que les chefs du monde entier se côtoient sans complexe? Il y en a bel et bien un complexe, et c’est celui de la V.O., l’accent québécois réputé incompréhensible et qui reste, envers et contre tous, une stupide curiosité folklorique. Aurait-on écrit V.O. si on avait parlé des gaufres succulentes d’un chef Belge, d’une fondue au fromage Suisse, d’une omelette Basque, d’un cassoulet Toulousain? Non. Sirop d’érable, québécois, V.O. ... ça me donne presque envie de giguer... Moi aussi je peux écrire des phrases paradoxales. En voici une : Le problème avec les Québécois, c’est qu’il parle dans leur langue maternelle, le français.

Je vais me chercher du travail après mon mariage et je redoute les entretiens d’embauches. Et si mon futur employeur se mettait à m’imiter à chaque fois que je parle pendant l’entretien? Et si, une fois embauchée, les employés faisaient pareils? Je devrais (encore) expliquer que je suis écoeurée qu’on m’imite, et personne (encore) ne me prendrais vraiment au sérieux... « C’est pour te taquiner...» Ouain... Ta yeule. Une amie Française me racontait en fin de semaine qu’elle avait dû faire le message de fermeture du magasin à l’intercom lors de sa première journée de travail, que ça l’avait gêné... et si j’avais à le faire, moi, est-ce que les clients comprendraient ou bien n’écouteraient-ils que mon accent? Et si on refusait de m’engager parce qu’on redoute l’effet qu’aura mon français sur le public? Et si on me considérait comme l’innocente de service? Cette carte-là, on m’a conseillé de la jouer pour me trouver du travail... ça a l’air con, mais les Québécois ont cette gentille réputation ici. Sérieusement, ça met peut-être plus de chances de mon côté (sauf quand je magasine : dès qu’un vendeur entend mon accent, il s’empresse de me bourrer comme une valise pour me vendre son stock). On m’a dit de jouer la carte de l’anglais aussi : ici, je suis top bilingue... Bonjour, je m’appelle Rachel Gamache, je suis une gentille bilingue et je parle en V.O.

Ce n’est pas une farce. Normalement, on ne pense pas à tout ça quand on doit parler. Moi, j’y pense toujours, inconsciemment. À chaque fois que je rencontre un nouveau Français, je dois tout reprendre dès le début : articuler en malade, choisir et peser chacun de mes mots et surtout dire de ne pas m’imiter, que c’est agaçant à la fin, que ça fait huit mois que je vis ici... Je sens que RIEN ne me pousse à préserver, conserver, garder mon cher accent (sauf ceux qui ont de la compassion pour ma situation) et je comprends mieux pourquoi maintenant certains Québécois ont choisi de jeter le leur. Je ne leur en veux plus, c’est beaucoup plus facile ainsi de se mêler à la masse. Pourtant, moi, je résiste, pour le moment et pour longtemps, j’espère... Mais je n’ai rien à attendre en retour de cette résistance. Quoi que j’y fasse, ma langue changera et me trahira à nouveau quand je serai de retour au Québec. Chaque fois que je parlerai, on le saura que j’ai passé pas mal de temps en France. Et je devrai jongler éternellement avec les langues qui fabriquent mon identité. «Hi, my name is Rachel» «Where are you coming from, with this english? France? You speak well!»« No, I’m French Canadian... from Quebec»«I didn’t know that people were still speaking French in Canada?!?...»«Well... we keep some secrets like that... but maybe we’re going to bring this one in our graves»«Sorry... I didn’t get it. Could you repeat, please?»

On est bien au Québec, entre Québécois. On est comme dans un petit nid, chaud et douillet, une île... on cajole nos idéaux politiques, notre langue, notre culture, notre chaleur humaine (reconnue internationalement) et notre poutine. C’est bon, dans notre cocon on a réussi : on a survécu à l’envahisseur culturel et linguistique. On se sent menacé parfois, mais de l’intérieur, et les petits feux de pailles, on a vite fait de les éteindre au fond. Le reste du monde (même les États-Unis) est loin, très loin de nous.

Et c’est peut-être pour cette raison qu’ici (et ailleurs sans doute), on nous connaît encore aussi mal.

5 commentaires:

Éric a dit…

Tes réflexions sur l'identité québécoise et son rapport à l'autre sont toujours pertinentes, et je t'en félicite et remercie.

C'est pas facile de trouver sa place dans un pays qui partage autant de choses avec nous. Tsé, si tu avais déménagé en Allemagne ou en Russie, tu serais tout simplement "une étrangère". Mais en France, le Québécois est dans un espèce de no man's land entre l'étranger, le colon, l'illettré, le "cousin" et le Français.

Et, oui, ça tape.

Anonyme a dit…

Tu sais, j'ai le même feeling quand j'arrive au département de l'UdM qui se prend pour une petite France. Malheureusement, c'est une petite France constituée de Québécois qui ont tout fait pour perdre leur accent.
Mais quand j'arrive là, je surveille comment je parle, j'articule à outrance et inévitablement, à force de faire attention, je parle tout croche et j'ai l'air d'une imbécile.

Mais, je sais, je sais, quand j'arrive au dépanneur, le gars n'en a rien à faire de mon accent québécois, il me comprend et ne cherche pas à m'imiter. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi l'accent québécois normal est si dénigré à l'Université.

Juste pour te dire que je suis de tout coeur avec toi...

Rox

Rachel a dit…

Éric: le no man's land, c'est ça, on est comme nulle part... T'as ben raison.

Rox: ça me fait rire ce que tu racontes, parce qu'une fois, un professeur, dont je tais le nom, m'a imité à l'UdeM. J'étais pas mal étonnée... ça manque de tact!

C'est quand même incroyable de penser que si le français n'étais pas ma langue maternelle, personne ne m'imiterait, ni ici, ni ailleurs.

Anonyme a dit…

C'est la première fois que je lis (et relis) quelque chose d'aussi argumenté et qui fleure aussi mauvais la réalité sur ce que vit un Québécois en France.

Sans parler de tragique, cet entre-deux-eaux ou entre-deux-mots doit beaucoup perturber. Le simple fait que tu avoues penser à ce décalage (qu'on t'impose) à chaque fois que tu rencontres une nouvelle personne, dans ta prononciation, dans les mots que tu choisis, c'est horrible.

L'aliénation linguistico-culturelle, c'est pas tous les jours rigolo.

Je ne comprends pas pourquoi - et pourtant mon séjour à Montréal m'y fait réfléchir depuis un bon bout maintenant - ce sont les Québécois qui sont les boucs émissaires linguistiques des Français, alors que tout nous rapproche.
Peut-être parce qu'on a épuisé tout notre fiel sur les Espagnols.....

Rachel a dit…

titoucrapo: «Peut-être parce qu'on a épuisé tout notre fiel sur les Espagnols.....»

Aha! Sans doute ;)

Effectivement, l'acclimatation de ma parlure en France, ce n'est pas tragique, mais disons que ça rend les choses beaucoup plus compliquées.