mercredi 13 août 2008

Questions de courage

Courage n.m. (de coeur). 1. Force de caractère, fermeté que l’on a devant le danger, la souffrance, ou dans toutes situations difficile à affronter. Cette femme a beaucoup de courage. Fam. Prendre son courage à deux mains : faire appel à toute sa volonté, à toute son énergie pour surmonter ses appréhensions, pour oser faire qqch. 2. Ardeur, zèle pour entreprendre qqch ; envie de faire qqch. Il n’a pas eu le courage de se lever si tôt. 3. Ne pas avoir le courage de faire qqch, être incapable de le faire, par sensibilité. Je n’ai pas eu le courage de lui annoncer la nouvelle. 4. Avoir le courage de ses opinions, ne pas hésiter à les manifester, à s’y conformer.


«Bon courage!», c’est ce que les gens lancent ici aux caissières en quittant l’épicerie, et je trouve malheureusement que c’est insultant, voire fendant. Pourtant, à peu près tous les Français que je connais le dise (Chéri inclus), et ils ne sont pas tous fendants, hein, quand même... Dire «bon courage» à une caissière pour moi, c’est comme lui dire en pleine face qu’elle fait un pauvre métier et qu’elle travaille dur pour des pinottes. C’est condescendant. Si je vois que la caissière n’est pas une étudiante, j’ai l’impression que c’est pratiquement lui remémorer qu’elle n’a probablement pas fait d’études ou qu’elle n’a pas eu le courage, la force de caractère justement, de mener à bien ses projets, qu’elle manque d’ardeur, de zèle, qu’elle a hésité à un moment crucial de sa vie, ce qui fait qu’elle s’est retrouvé assise devant sa caisse enregistreuse au Champion. C’est lui rappeler qu’elle est peut-être, oui, en manque de courage, que sa vie est plate, qu’elle fait un métier non stimulant. C’est quasiment lui dire «grouille-toi le cul de faire autre chose sinon tu vas pourrir là!!!» Y’a de quoi déprimer. Je me demande bien ce qu’ils font dans la vie, les clients qui souhaitent «bon courage» aux caissières... j’ai franchement l’impression qu’ils regardent les caissières de haut : «pauvre petite, elle est malheureuse assise là comme une poire toute la journée...» Parfois, selon le ton, j’ai aussi le sentiment que c’est plutôt une phrase empathique qui voudrait dire «Moi aussi je fais une job de cul, je te comprends, c’est pas toujours facile...», ce qui ne sauve pas plus la face de celui qui le dit : entre pauvres gens, on se comprend. Mais qu’est-ce qu’ils voient au juste quand ils regardent la caissière? Comment évaluer le besoin de courage de quelqu’un qu’on ne connaît pas? À mes yeux, souhaiter «bon courage» à une caissière d’épicerie, c’est un jugement gratuit et négatif, basé sur la noblesse ou la non-noblesse d’un métier. Entre nous, avouez que de nos jours, personne n’a réellement envie de faire carrière comme caissière au Champion et d’y passer sa vie... Mais irons-nous souhaiter «bon courage» au banquier, au chef d’entreprise, bref à celui ou celle qui a soi-disant «réussi»? Non. Bref, vous comprendrez que jamais j’irai souhaiter «bon courage» à la femme qui travaille depuis 10 ans au Shopi près de chez nous, même si elle en a peut-être besoin et qu’elle fait un métier ennuyant à mes yeux... J’ai l’impression que c’est pas de mes affaires et que j’aurais l’air arrogante... J’aime mieux souhaiter une «bonne journée!»... me semble que c’est plus encourageant, ou du moins plus neutre comme façon de dire aurevoir... Je crois par ailleurs que c’est une question de culture et de perception : on ne doit pas avoir la même définition de ce qu’est le courage, je ne l’ai pas entendu dire souvent au Québec (et jamais aux caissières... Dites-le moi si je me trompe, mais on dit plutôt «bonne chance»... il faudrait réfléchir aussi à la teneur de ce «bonne chance»...) Les caissières disent toujours «Merci!» après le «bon courage»... il faudrait que j’interroge une caissière à ce sujet : «Non mais qu’est-ce que ça fait au moral de se faire souhaiter «bon courage» à tort et à travers toute la journée?» Je me le demande. Moi, ça me déprime.

J’ai fait la deuxième étape de la Route de Compostelle avec mes amis Sarah et Simon lundi dernier. Nous avons marché une vingtaine de kilomètres entre Palaiseau et Arpajon. Les gens qui nous voyaient passer dans les villages avec nos packsacs nous souhaitaient souvent «bon courage»... Nous on répondait «merci!», et ça m’a rappelé l’histoire avec les caissières. Sarah et Simon vont en chier (et ils le savent!) pour faire la route : après une journée de marche j’avais les jambes en compote, sauf que je rentrais chez moi prendre une douche... eux faisaient du camping, et repartaient le lendemain. Ils sont courageux, effectivement. Il n’y a pas beaucoup de gens qui entreprendraient un tel projet, mais le «bon courage» des villageois était dit sur le même ton de la compassion que celui qu’ils lancent aux caissières. Est-ce possible de comparer le besoin de courage des caissières et celui des randonneurs?

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