dimanche 10 mai 2009

Star-system intime

Je commence à avoir ici des amis que je peux réellement appeler comme tel. Ça a pris du temps. Ce n’est pas tellement ma faute ni celle des autres : je suis atterri dans leur vie sans crier gare, je les ai trouvé tellement différents, dans leurs manières, leurs habitudes, leur culture, leur philosophie générale de l’existence, sans compter que nous ne parlons pas la même langue… au figuré bien sûr. Ils ont du penser la même chose, mais eux avaient l’avantage d’être confortablement chez eux pour faire ma connaissance, moi j’étais vide de… moi. Ou bien trop chargée d’un moi folklorique. Traîner des idées toutes faites, des préjugés, bons et mauvais… J’avais vécu sur un territoire exotique à leurs yeux, mais qui ne l’avait jamais été pour moi. Trop pleine de moi : je n’avais plus les moyens de m’afficher dans le concret, manque de repère, manque de crochet pour une réalité, à moi, qui n’était pas tellement pertinente dans un nouvel espace. Aujourd’hui je suis victime de l’exotisme qui m’a prédéfinie et je rêve du Québec de la même façon que je rêvais de la France il n’y pas si longtemps… déjà. Je n’ai pas vu les possibles du réel ici, mais je les cherche toujours, bien que mes jours dans ce no man’s land de ma création soient désormais à peu près comptés…

À part mes quelques amis, la plupart des gens que je fréquente sont restés des connaissances, de très bonnes connaissances, disons, et j’apprécie leur compagnie. On échange maintenant autre chose que des banalités et comme je suis un peu plus au fait de l’actualité française, je comprends les jokes et les insides. C’est important, pour être complices… Parler à quelqu’un qui n’a pas le même univers de référence que le vôtre finit par devenir ennuyeux - à moins d’être en voyage et de jouer le touriste surpris – parce qu’on ne peut rien partager finalement… Mais je ne suis pas une touriste (pas dans ma tête entoucas). J’ai un passé ici, culturel et social, je parle une nouvelle langue, un peu moins colorée que l’originale probablement, qui me donne les moyens de m’intégrer et ceux de passer presque inaperçue. L’autre fois, quelqu’un a demandé à Chéri si j’étais Française ou Québécoise. Il hésitait vraiment, sans rire. Il pensait que je niaisais en imitant l’accent. Je me suis dit qu’aux premiers abords, je n’étais donc plus tellement une curiosité, mais que ma place sur le territoire était encore relative : maintenant, au lieu de s’exclamer sur le fait que je sois Canadieeeeeeeeeeenne, les gens me demandent d’où je viens. Ils hésitent… «Vous avez un accent du Sud?» Je suis donc d’ici, mais d’ailleurs à la fois. Je ne pourrais pas vraiment dire d’où.

Quand mes connaissances me demandent de mes nouvelles, c’est souvent pour savoir comment je vis l’exil. Il me semble que les gens veulent avoir la confirmation que c’est souffrant et me demandent si je m’ennuie de ma famille. Ça n’a rien de péjoratif comme question, je pense qu’ils cherchent à se rapprocher de moi de façon plus intime, autrement que par ce foutu lien ancestral qui a fait de nous des cousins éloignés. Tout le monde a souffert un jour, tout le monde s’est déjà ennuyé de quelque chose et chacun peut comprendre cette douleur, quelle qu’elle soit. C’est ce que je partage.

Je leur réponds toujours que non, je ne m’ennuie pas de ma famille, en fait, je ne m’ennuie plus de ma famille. Ça les fait bien rire… La famille basta ! Non... Ils seront toujours là, les membres de ma famille et m’idéaliseront toujours de la même manière. Je suis une enfant devenue adulte, une grande sœur (Madame Méchante, pour les intimes…), une photographie sur un bureau, une biographie palpitante à raconter, une fierté, l’espoir parfois. À moins qu’un des membres de cette famille commette un crime odieux, nos relations ne risquent pas tellement de changer. Cette permanence ne comporte rien qui puisse me faire souffrir, au contraire, elle me rassure en ce qu’elle représente à la fois mon autonomie et ma bouée de sauvetage. Je les ai quittés, sûre de les revoir comme ils étaient quand je suis partie, car je les idéalise aussi. Peut-être aussi que j’ai des liens familiaux d’une autre nature ici, mais qui savent jouer la même berceuse que là-bas. Je ne sais pas.

Non, je m’ennuie de ces amis qui me mettaient chaque jour au défi de leur fragilité et me renvoyaient ma réalité, des images contrastées de moi-même en pleine figure. Maintenant, leurs spectres me giflent à grands coups de souvenirs. J’ai du mal à avancer dans la durée sans me regarder souvent dans la glace de mes amis et d’y reconnaître ma place dans le monde, ma place d’amie. C’est la dynamique de ce star-system intime qui me manque le plus. Cette partie de moi est encore enfermée en dehors de moi. Elle cherche, sans jamais trouver, quelqu’un aux alentours à qui elle aurait donné un double des clés.

1 commentaire:

Marie-Pascale a dit…

En tout cas, si ton accent a changé, ton lexique aussi : tes miroirs sont devenus des glaces... Toujours un réel plaisir de te lire. xxxx