samedi 13 décembre 2008

Kiwi, de Daniel Danis - Une histoire de canards et de lumière, y paraît...


Hier soir j’ai eu la chance d’aller voir à nouveau une pièce de Danis, Kiwi, au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris (10 euros le billet : j’étais morte de rire). La pièce a été créée à l’automne 2007 et cette production tourne depuis quelques temps en Europe francophone, je n’arrive pas à savoir si elle a été jouée au Québec (je ne cherche pas trop, j’aime bien me dire que j’ai un scoop !) J’avais quelques réserves avant de me rendre au théâtre. Dans le répertoire du CEAD, il est indiqué sur la fiche de la pièce qu’elle est destinée au 12 ans et + ... ouin. Je me suis souvenue que les pièces de Danis mettaient souvent en scène des personnages-enfants, et je ne voyais pas pourquoi celle-ci serait moins bonne que les autres parce qu'elle était supposément écrite en fonction d'un public adolescent. Effectivement, je n’ai pas regretté mon voyage à Paris.

Kiwi, c’est le nom d’une petite orpheline qui a onze ans au début de la pièce qui raconte son histoire et celle de Litchi, son «mari», dans la «famille» peu orthodoxe composée d’enfants de la rue. Ironiquement, tous se sont rebaptisés en se donnant des noms de fruits ou de légumes, nomenclature apétissante et fertile qui jure pathétiquement avec l’ambiance glauque de la misère et de la cruauté. Chassés de leur bidonville sous prétexte que la ville qu’ils habitent fait le ménage en prévision des jeux olympiques, les enfants s’organisent une société à leur manière dont le quartier général est un ancien bunker, la maison sous la terre, et se prostituent, à la maison noire, pour gagner leur pain et l’argent nécessaire pour acheter leur rêve, la maison de pierre.

J’aime me faire raconter des histoires et j’ai l’impression que les textes de Danis ont été écrits exactement pour satisfaire ce besoin viscéral de fiction humaine qui détermine les hauts et les bas de mon existence depuis ma naissance. Kiwi est un texte particulièrement touchant, encore une fois, très narratif, baigné d’une poésie libérée de tous les tabous des grammaires, où les mots-images, même ceux qui n’existent pas, deviennent envisageables et prononçables. Les personnages nous plongent dans leur histoire en nous la racontant plutôt qu’en la mimant, le dialogue direct entre eux étant pratiquement inexistant. Les conversations sont la plupart du temps rapportées, ce qui nous oblige à imaginer une grande part de l’action. J’ai l’impression que ça renforce notre position et notre rôle de spectateur puisqu’on a droit à plusieurs points de vue. Le spectateur doit assembler lui-même ces voix pour créer l’histoire. Bref, voir du Danis me donne l’impression que je suis en train de lire un livre. Deux plaisirs en un, donc.

En cela, ses textes ont la réputation d’être difficiles à mettre en scène. Pourtant, c’est bel et bien du théâtre, il n’y a pas de doute là-dessus. Je ne suis pas spécialiste de la mise en scène des textes de Danis, mais celle que j’ai vue hier était particulièrement impressionnante, peut-être parce que c’est l’auteur qui l’a conçu. Rien d’autre sur scène que deux écrans blancs. Le spectateur est plongé dans le noir et regarde la pièce, filmée sur scène en direct et en nocturne par un caméraman et projetté sur les toiles. En se servant de la technologie, Danis questionne les possibilités de la mise en scène. Les acteurs sont présents sur scène tout en ne l’étant pas pour le spectateur qui ne les aperçoit que par le truchement de la vidéo. Filmé la plupart du temps en gros plan, la caméra nous permet paradoxalement de mieux voir les acteurs et de nous rapprocher des personnages qu’ils incarnent, de vivre l’exigüité des lieux, propres et figurés, qu’ils sont forcés d’habiter, mais aussi de ressentir leur amour fraternel, la compréhension et l’entraide dont ils doivent faire preuve au jour le jour pour s’en sortir. La noirceur de la mise en scène met en lumière l’espoir qui portera finalement les personnages jusqu’au dénouement de leur cauchemar, dans un chez soi survolés par les canards et la lumière. Une récompense équivoque qu’ils auront payée de leur innocence.



*****


La technologie a perdue de sa «nouveauté» au théâtre. J’entends par là qu’il n’est pas rare que les metteurs en scène explorent les textes de théâtre avec des moyens qui dépassent le genre dans ses traditions. Ce travail d’exploration est remarquable pour moi, peu importe la qualité du résultat : il est tout à fait légitime de chercher à approfondir les textes de théâtre en usant de moyens techniques, qui sont par ailleurs de plus en plus accessibles et complètent souvent à merveille la dramaturgie d’un auteur, comme ça été le cas pour Kiwi. N’empêche, il semble qu’il y aura toujours des gens qui penseront être les seuls sur la terre à explorer les possibilités du théâtre, comme ces deux inconnues assises derrière moi, hier soir. Dégoutée dès la lecture du programme, une des deux femmes a sifflé amèrement à son amie : «Du théâtre-filmé... Tout le monde te copie maintenant ...»

2 commentaires:

Danger Ranger a dit…

Tout le monde copie et copie-colle et s'interpelle dans un réseau de plus en plus complexe de moyens de communication faits de mémoire vive et d'électronvolts. Nous faisons des apparitions-spectacles médiatisés dans la vie de tous les jours, à distance. Il me semble naturel qu'au théâtre on mette cette réalité bizarre en scène et par ses propres moyens.

Rachel a dit…

Oui c'est ça.

Et dans le cas de cette pièce, je trouvais vraiment que c'était parfait. Ça donnait un petit air documentaire/cinéma direct à l'affaire et qui se fondait parfaitement avec le sujet de la pièce, lui donnait une autre dimension et de la profondeur.

...j'ai cherché un peu du côté de l'apparition de la technologie au théâtre après avoir entendu la fille au théâtre... Je n'ai pas vraiment trouvé de date précise, mais bon, ça fait environ 30 ans (peut-être plus?) qu'on peut voir des projections dans les mises en scènes au théâtre et en danse...ça c'est juste pour le Québec!

Alors pour le copiage... la madame devrait sortir un peu plus. J'entends son commentaire comme la preuve que le genre est malheureusement figé dans ses conventions. Souvent encore, quand la technologie se mêle du théâtre, on remet le genre en question.

Est-ce qu'on a tellement besoin de tout catégoriser ?!?