lundi 2 mars 2009

Théâtreuse en déroute - II

J’ai beaucoup de compassion pour les personnages du théâtre de Tchekhov. Je trouve qu’ils font pitié. On dit souvent qu’ils sont «humains», «dotés d’une véritable psychologie», etc. Sans doute, oui, au théâtre… Sur la scène, ils sont plus vrais que nature (!) Ils sont peut-être malheureux, mais beaucoup plus vivants que moi qui suis là à les regarder vivre leur vie de personnages de théâtre. Je pense que c’est pour ça qu’on les trouve tellement humains : on se prend au jeu de la tranche de vie, c’est-à-dire qu’on suppose inconsciemment qu’il y a un avant et un après la pièce. Et ça, Tchekhov est maître dans l’art de nous y faire croire. Il nous mène en bateau, voyez-vous, je pense que ses pièces sont trop près de la réalité pour le théâtre. C’est du sur-théâtre. D’autres ont dit que son théâtre se rapprochait vraiment du genre romanesque… ça peut être une façon de le comprendre aussi : le roman, c’est vrai dans notre tête. Je parle d’une réalité imaginaire, qu’on mêle souvent avec la réalité réelle, une vie idéalisée, déformée au contact de l’interprétation qu’on en fait. Nos vies sont faites d’illusions et de désillusions, et sans l’imagination, la création (de solutions aux désillusions entre autres) je suis sûre qu’on mourrait tous instantanément. On se crée des raisons de vivre pour continuer à vivre et ne pas être malheureux. Les personnages de Tchekhov font tous ça : ils se font une raison. Ou ils meurent. C’est ça l’objet des pièces : pendant deux heures on voit plusieurs personnages qui se font une raison de leur existence. Et tous les êtres humains de la terre se font une raison, bonne ou mauvaise, on s’en fout.

Et je pense que c’est pour ça (entre autres) que le théâtre de Tchekhov est réputé difficile à monter, parce que ça ressemble tellement à ce qu’on peut vivre ontologiquement, qu’une fois mis en scène, on ne sait plus si on doit y croire, parce qu’en fin de compte, c’est du théâtre... Le contenu va à l’encontre du genre, le réel et l’imaginaire veulent prendre leur place au même endroit. C’est comme quand je donne des croquettes à mes deux chats : ils essayent de manger dans le même bol qui est beaucoup trop petit pour deux têtes de chats, et y arrivent difficilement. Finalement, ils se font une raison, et mangent chacun dans leur bol. Théâtre et réalité séparés, c’est beaucoup plus facile comme ça. Quand je vais voir et revoir les pièces de Tchekhov, j’ai, pendant de brefs moments, l’impression de toucher à quelque chose de la réalité, quelque chose de transcendant qui est là pour rester. Ça me rassure énormément. Je me sens chez moi, enfin. J’ai toujours envie de retourner chez nous, c’est pour ça que je retourne voir les pièces de Tchekhov. Ça n’a absolument rien de rationnel.

Je n’ai jamais eu l’impression d’être présente à la réalité. Je ne pense pas qu’il existe beaucoup d’humains qui le soient. Je suis soit occupée, soit préoccupée, je suis ici et là. Je suis toujours spectatrice de quelqu’un qui donne une interprétation du spectacle de sa vie, je suis figurante dans le théâtre des autres, vice-versa. Je lis des livres qui parlent des livres... Mais voilà, je suis obsédée par le théâtre de Tchekhov, c’est pas ma faute, c’est parce que j’arrive pas à m’en faire une raison, à savoir si c’est vrai ou si c’est faux, aucune approche n'est assez juste pour moi. (Quelle prétention!) Je ne fais pas la part des choses. «Tout est écrit», disait Tchekhov aux comédiens de la troupe de Stanislavski qui voulaient comprendre les personnages qu’ils interprétaient. Alors je continue à lire, à voir ce qu’en pensent les autres, et finalement, à ne pas trop chercher de solution… parce qu’après ça va être plate. (Quelle ironie!)

Bon. La prochaine fois je parlerai de rugby.

5 commentaires:

Marie-Pascale a dit…

Je t'admire pour ton utilisation du mot "ontologiquement". Il y a 4-5 mots que j'ai souvent croisés depuis le début du bacc, que j'ai jamais compris, et aucun ouvrage ni personne m'a pu m'éclairer. Tu vois, tu as percé l'un de mes mystères :-) Surtout n'essaie pas de me l'expliquer, car je me suis donné pour défi d'utiliser au moins l'un de ces 4-5 mots dans mon mémoire sans en connaître la réelle signification! Et puis, c'est cool de pas savoir ce qu'ils veulent dire. Je sais les utiliser quand même et je suis sûre que tous ceux avec qui je les ai utilisés ne les comprennent pas plus que moi! Bon travail là xxxx

Rachel a dit…

Merci beaucoup, j'adore le mot ontologiquement, c'est tellement large comme adverbe il me semble. Un grand fourre-tout!ahaha!

Bonne chance pour l'introduction de tes 4-5 mots dans ton mémoire. Je crois en toi!

Danger Ranger a dit…

Cool, tu me donnes le goût de lire Tchekhov. J'ai lu la Cerisaie seulement. Ça peut se lire comme on lit un roman. Parce que j'aime pas tellement ça aller au théâtre, j,aime ça juste à l'occasion...

Rachel a dit…

Je pense que oui, c'est aussi lisible qu'un roman... Prends les traductions d'André Markowicz et Françoise Morvant, publiées chez Acte Sud. Y'a moins de tournures à la française, et ils ont tout fait pour conserver la ponctuation originale, alors tu as vraiment le rythme de la phrase russe. Apparemment les nouvelles de Tchekhov sont biens aussi, mais je ne me suis jamais vraiment plongé dedans sérieusement.

Je pense sincèrement que les gens qui n'aime pas le théâtre ne sont juste jamais aller voir une pièce qui les a touché, et se sont fait à l'idée... donc, sont un ti-peu moins ouverts quand vient le temps de réessayer. Je pense que les pièces du théâtre La Licorne te plairait. Si tu veux du neuf, original, divertissant drôle pas trop cher, va voir une pièce de la Pire Espèce (ils ont une nouvelle création en chantier). Je pense qu'il faut s'intéresser aux collectifs de création, aux praticiens qui cherchent à faire du théâtre autrement.

Voilà, pour les occasions qui j'espère se présenteront... ;)

Danger Ranger a dit…

Merci pour les conseils de lecture!

Pour ce qui est d'aller au théâtre, j'ai bien aimé les fois que j'y suis allé. J'ai même tripé en allant voir Hosanna au TNM, c'est tout dire... C'était avec Jeanne Bovet, pour le cours sur l'analyse de la représentation théâtrale. Mais j'ai le même problème avec le cinéma, même de très bons films, j'aime pas ça trop souvent. C'est simple, et là je vais avoir l'air lettreux-chauvin borné: manque d'interaction. Je n'aime pas aller voir de shows de musique si on peux pas danser. J'aime pas être assis sans bouger à regarder et écouter quelque chose si je peux pas réagir, ça m'ennuie. Avec un livre, je m'arrête, je reviens en arrière, je vais même voir à la fin parfois, je m'arrête pour prendre le dictionnaire ou chercher sur internet, je prends des notes, je peux m'arrêter pour écrire ou aller nourrir la bête (le blogue)... La lecture m'a habitué à trop de liberté, peut-être!... Bref j'aime le spectacle, mais de temps en temps...