jeudi 6 mars 2008

Un Grand Dérangement

Le village où j’habite est assez étrange. Premièrement, il semble que tous ses habitants viennent de Normandie et ont un ancêtre Acadien qui s’est fait déporté. (Je ne sais toujours pas pourquoi ils me racontent tout ça, je ne suis pourtant pas Acadienne et je n’ai aucun ancêtre Acadien...) Les villageois qui n’ont pas d’ancêtres Acadiens, ont de la famille exilée à Montréal : «entre nous, c’est bien mieux le Canada !»(Ouais... Entre nous, ferme ta gueule de conne, moi j’ai le mal du pays une journée sur trois, fak c’est sûr que même la Saskatchewan c’est cent fois mieux qu’icitte.) Dans mon village, il y a aussi les tenants du retour aux sources : «c’est bien pour toi de rentrer au pays, de revenir aux sources...» (eille man, je suis pas rancunière là, sauf que ton pays nous a flushé y’a 300 ans, pis après ça on s’est fendu en quatre pour survivre... Les sources, les sources ! Comme si j’avais pas de pays!). Il y a d’autres personnes qui démontrent un peu plus de bonhommie : «ton français s’améliore chaque fois qu’on se voit!»«Merci, mes cabrioles linguistiques te sont entièrement dédiées mon ami!» Quand les Français me parlent du Canada je suis souvent frustrée, mais en même temps je les trouve cutes, parce qu’ils sont complètement ignorants (je suis fendante, c’est pas possible, c’est peut-être la preuve que je m’adapte (hihihi)...). Je fais mon mémoire sur l’adaptation québécoise des pièces de théâtre étrangères. J’ai la tête dans la sociolinguistique québécoise à chaque jour de ma vie. Quand je sors ma tête de cette histoire-là, je suis en France, avec les Français et leur langue de Français, celle contre qui les traducteurs de théâtre québécois se sont soulevés un bon moment donné pour dire «Woh, on a une langue et une culture nous autres itou! D’la marde les traductions françaises», constat que les Français n’ont jamais fait pour la simple et bonne raison qu’ils ne sont pas Québécois. Je connais mal l’histoire des Français, mais à mon avis, leur langue et leur identité ont rarement été mises en jeu. (J’ai entendu que le poids de leur histoire est lourd à porter, mais je ne suis pas sûre d’avoir compris ce que ça voulait dire.)

Donc, la question que je me pose est la suivante : comment puis-je vivre ma québécité en France? J’essaie d’être ouverte, souple, calme, sereine, je médite câlisse. Envoyez-moi en Bolivie, je suis sûre que je vais m’adapter, mais ici je pose une résistance de l’ordre d’une souche, une ben grosse souche, pis comme dirait l’autre «pour enlever une souche faut mettre la chainsaw d’dans, pis c’est pas toujours beau...» J’ai l’impression que le problème des Québécois quand ils sont en France pour longtemps (j’ai déjà vérifié, ce n’est pas que mon problème...), c’est qu’ils ont une difficulté monstre à s’ouvrir, dans le sens d'accepter la différence. Inconsciemment, on a la chienne : notre histoire collective nous dit qu’on a travaillé fort pour être vivants aujourd’hui, pour encore parler le français, qu'on s'est prononcé assez radicalement contre la sacro-sainte «Norme Française» pour pouvoir se sentir exister. J'ai l'impression qu'ici je dois remettre tout ça sur la table, encore et encore. Notre pays et notre langue sont sacrés, intouchables, surtout quand on est en France, et que personne ne s’avise d’en parler, ni en bien, ni en mal... Quand je disais que les Français sont cutes parce qu’ils sont ignorants, leur problème en fait c’est qu’ils aiment vraiment les Québécois, ils sont charmés par notre accent et par nos différences, ceux qui ont voyagé au Québec en gardent de beaux souvenirs, sauf qu’ils ne pourront jamais comprendre l’importance que ça peut prendre pour nous de se faire entretenir sur notre langue et nos racines... On est pas Français. (Hier, j’appelle à Montréal chez des amis et je tombe sur Claude-Yves, le père de Karine, qui a un accent charlevoisien gros comme le bras (le sien...). Là, je commence à y parler, pis je m’écoute en même temps... J’étais en train de choisir mes mots, comme si y’allait pas me comprendre !!! Ça, ça fait peur.)

Comment vivre ma québécité... comme dit souvent ma fée marraine, y’a des gens qui sont pas mal plus mal en point que nous, alors maintenant, quand j’ai une crise d’identité, je pense aux Acadiens.

1 commentaire:

Éric a dit…

Wow.

Tes billets sont d'une pertinence et d'une lucidité hors du commun.

Et divertissants, en plus.

J'espère que tu vas bloguer encore longtemps... à moins que tu ne cesses de bloguer pour revenir ici...